Transcription de la presentation du prof. Stefaan Callens (KUL)
Colloque national "Se développer ensemble vers une reconnaissance durable" - le 4 mars 2016
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On m’a demandé de parler du statut du psychologue et de comparer ce dernier à celui du médecin. En introduction, voici ce que je peux vous dire : à un certain nombre d’égards, vous êtes très bien positionnés, en fait, la règlementation est même meilleure pour vous que pour les organes en place pour les médecins. Ceci est valable tant pour la Commission que pour les conseils disciplinaires. Malheureusement, dans d’autres cas, il reste encore beaucoup de travail. Mais il me semble que la situation n’est pas désespérée et que nous faisons face au moment idéal pour changer les choses.
Ce que je trouve passionnant dans votre secteur, c’est que - et vous l’avez déjà entendu quelques fois - vous êtes actifs dans le secteur de la santé mais aussi en dehors de ce dernier, dans le secteur du travail, de l’école et de la recherche, et que du fait de cette activité, vous contribuez de façon importante en tant qu’acteur du secteur de la santé. En fait, l’on peut voir le secteur de la santé comme une sorte de système où tous les acteurs interagissent et où toutes sortes de décisions sont prises à tous les niveaux. Vous allez, vous-mêmes, certainement à partir de septembre, le ressentir en tant que psychologue clinicien. Des décisions sont prises au niveau européen, fédéral et communautaire. Mais aussi dans les réseaux d’hôpitaux, dans les institutions, au sein des associations, et tout comme le Ministre vient de le dire, vous devrez prendre des décisions dans les sociétés également. La prise de toutes ces décisions à tous niveaux rend parfois difficile l’administration du secteur de la santé. En tant que psychologue, il vous faudra apprendre à vivre avec. Ceci présente des inconvénients mais aussi des avantages.
Ce que je veux encore ajouter, c’est que notre secteur des soins de santé, est un secteur où la concertation est une réalité. Entre les médecins et les caisses d’assurance maladie, ou encore les hôpitaux avec les mutualités. Si vous allez être actif dans ce secteur en tant que psychologue clinicien, il vous faudra apprendre d’une façon ou d’une autre à vivre avec. Et il vous faudra aussi réaliser que nous venons de vivre une réforme de l’état qui engendre à différents niveaux, des décisions prises pour vous. Il est bon de le savoir. L’obligation de visa va être introduite, c’est du fédéral. Vous devrez encore toujours vous inscrire sur une liste, c’est du fédéral. Mais la reconnaissance de psychologue clinicien viendra du communautaire. Vous devez bien comprendre que vous devrez apprendre à travailler avec différents législateurs et qu’il vous faudra en tenir compte.
Mais, en ce qui concerne la différence entre le statut d’un médecin et celui d’un psychologue, je vais vous donner deux petits exemples, se situant plutôt dans le milieu hospitalier ou dans le réseau des hôpitaux et des institutions. Le premier exemple concerne la collecte d’informations sur le patient. Votre code dit clairement que cela est possible sur base d’une autorisation éclairée. Vous devez donc pour toute forme d’enregistrement de données, et aussi pour leur transfert, demander l’autorisation au patient ou au client, et ce quel qu’en soit le but. Il s’agit ici d’un article contraignant repris dans le code. Imaginez qu’un hôpital décide de rejoindre un réseau de divers hôpitaux, et que la totalité du dossier local soit stockée dans le cloud, ou sur une plateforme cloud. Et imaginez que ces dossiers soient transférés, sans que les psychologues ne soient impliqués, sans que les patients des psychologues n’aient donné leur autorisation à cet effet.
La question qui se pose : ce transfert est-il possible sans conditions spécifiques ? Un autre exemple, vous travaillez comme psychologue indépendant dans un hôpital, vous percevez un honoraire. La question qui se pose : combien doit être retenu de ces honoraires pour facturer le client, payer le pc, le personnel administratif, le secrétariat ? Comparez avec le médecin. Les médecins perçoivent aussi des honoraires sur lesquels des retenues sont effectuées. Et la question est : comment cela est-il réglé ? Comment cela sera-t-il réglé pour les psychologues ? Je reprends mon premier exemple. Le transfert de dossiers est très bien réglé pour les médecins en droit hospitalier. Une plateforme cloud est parfaitement possible. Il n’est plus nécessaire d’avoir les dossiers au sein de l’hôpital. Ils doivent être conservés par l’hôpital, mais l’endroit où ils se trouvent n’est plus important dans cette société numérique. Tant que cela est bien sécurisé.
Toutefois, il est bien question d’un médecin responsable qui supervise le dossier du patient. Celui-ci est constitué de deux parties : le dossier infirmier et le dossier médical. Et la question est alors : où se situe le psychologue clinicien dans cette histoire ? Le dossier d’un psychologue, il n’en est pas question en droit hospitalier. Qui en assure la garde ? Est-ce pour le médecin responsable ? Peut-on créer tel quel une plateforme cloud et y placer ce dossier de patient –lié ou créé par ce psychologue ? Pour les médecins, ceci est bien réglé. Le conseil médical doit rendre son avis, et ils sont à cet effet impliqués au préalable. Mais pour les psychologues rien n’est réglé à ce sujet. Il reste donc beaucoup de travail à faire pour l’affiner aussi à ce niveau. C’est la même chose pour le deuxième exemple. Essayez donc en tant qu’hôpital de toucher aux honoraires d’un médecin. C’est pratiquement impossible. Mais vous bénéficiez maintenant, avec la nouvelle législation bientôt en vigueur, des mêmes principes au sujet des honoraires. Ceci y figure en effet : vous avez des honoraires qui vous reviennent.
Si l’on veut effectuer une retenue sur ces derniers, des accords devront être passés à ce sujet. Ces accords, dans un environnement médical, pour des médecins, donnent parfois lieu à des conflits. Ceci est pourtant très clairement réglé en droit hospitalier : un accord entre le conseil médical et le conseil d’administration est requis. Il n’est rien prévu à cet effet pour les psychologues cliniciens. C’est logique. Le droit hospitalier date de 1963 alors que vous n’êtes en fait officiellement effectifs que depuis septembre. L’on peut donc comprendre que rien ne soit repris en droit. Mais cela démontre qu’il reste beaucoup de travail pour les mois et les années à venir. Et je pense que nous nous trouvons certainement à un moment idéal à cet égard.
Si nous examinons la problématique des réseaux, la question qui se pose est : comment les psychologues et les psychologues cliniciens doivent-ils se situer ? Nombre d’entre eux commencent à travailler dans des équipes multidisciplinaires au sein des hôpitaux mais aussi en ambulant.
C’est selon la politique de Madame la Ministre que les hôpitaux doivent engager une collaboration transmurale, beaucoup plus que dans le passé. Mais cela signifie aussi avec les psychologues, avec les pratiques ambulantes où les psychologues travailleront. La question sera alors : comment allez-vous, en tant que groupement professionnel, être impliqués d’une façon ou d’une autre dans les décisions qui seront prises par ce réseau ? C’est un défi pour les mois à venir.
En ce qui concerne l’INAMI, je pense là aussi qu’il reste du travail. Le fait est que nous avons un modèle de concertation. Je l’ai déjà dit, l’industrie pharmaceutique fait des réunions mais avec les représentants de la caisse d’assurance maladie, les syndicats avec les représentants des assurances, les caisses d’assurance maladie. Même chose avec les pharmaciens, les prothésistes, les bandagistes, etc., mais nous n’avons pas encore vraiment un tel modèle pour les psychologues. OK pour les tabacologues, un petit règlement est prévu, mais il semble évident qu’à terme, l’on devra discuter du remboursement de certaines prestations psychologiques. Et cela supposera une concertation entre vous et les caisses d’assurance maladie par le biais de vos organisations représentatives.
Le revers de la médaille, ce qui est aussi logique, sera naturellement que vos prestations seront davantage vérifiées, contrôlées conformément aux règles qui seront établies. Et qu’il sera par exemple examiné s’il n’y a pas de surconsommation. Donc, ici aussi, beaucoup de travail pour l’INAMI.
En ce qui concerne le droit disciplinaire, il me semble que vous êtes bien plus avancés que les médecins. Imaginez que vous ayez un dossier d’un médecin qui ne soit pas assuré, et que ceci vient devant l’Ordre des médecins. La réponse sera totalement différente s’il s’agit d’un psychologue non assuré. En ce qui concerne les médecins, il est vrai qu’ils doivent être inscrits sur une liste. Tout comme les psychologues. Mais pour les premiers il s’agit d’une liste provinciale. Et il faut d’abord vérifier le domicile médical du médecin. Si un problème déontologique se pose, les conseils provinciaux sont compétents et il est possible de faire appel devant la Chambre de recours. Mais le problème est le suivant, et cela va vous surprendre : il n’existe pas de code de déontologie contraignant pour les médecins.
La seule chose que les conseils provinciaux peuvent vérifier, sont les règles essentielles de la déontologie : l’honneur et la dignité de la profession. Et cela s’arrête là . Ce n’est pas idéal pour personne, ni pour l’Ordre, ni pour les médecins. Pourquoi ? Vous ne savez pas au préalable en tant que médecin quelles sont en réalité vos obligations spécifiques. Le code, qui est bien réel et établi par le conseil national, n’a jamais été déclaré contraignant par un arrêté royal. Et c’est bien le cas pour les psychologues. C’est une différence majeure entre votre secteur et celui des médecins. Car l’inexistence d’un code signifie incertitude. Que puis-je faire ou pas ? Cette incertitude vaut tant pour l’Ordre que pour les médecins. Par exemple, l’aspect assurance : il n’est pas prévu dans une loi que les médecins doivent être assurés. C’est un principe déontologique figurant dans le code, mais ce n’est pas une obligation légale. Le code des médecins n’est pas contraignant, seules les règles essentielles comme le secret professionnel par exemple, peuvent être sanctionnées.
Il en va complètement différemment pour les psychologues. Dans le code contraignant des psychologues figure en effet qu’un psychologue, en fonction de sa pratique, doit s’assurer. Donc je pense que vous êtes bien plus avancés à cet égard. Sachez cependant, et certainement à partir de septembre, que vous n’aurez pas seulement votre institut ou votre Ordre avec le conseil disciplinaire et le conseil d’appel, mais aussi que la Commission Provinciale Médicale aura aussi une compétence importante pour votre groupe professionnel. Et que vous devrez demander un visa, tout comme les médecins. Et ce visa peut être retiré. Ou certaines limitations peuvent lui être appliquées. Par exemple si vous ne respectez pas vos obligations légales.
La Commission Provinciale Médicale est compétente pour juger si vous respectez ou non la loi, notamment la loi sur l’exercice de professions médicales qui contiendra entre autres des principes concernant la permanence, la création de dossiers, le transfert de dossiers, la continuité des soins, l’interdiction du partage des honoraires, ainsi que l’interdiction d’accords avec l’industrie. Ce sont de nouvelles obligations dont vous devrez tenir compte. Et en plus de la surveillance des conseils disciplinaires, vous devrez aussi tenir compte des mesures qui pourront être prises par la Commission Provinciale Médicale.
Je vais encore vous communiquer un message important pour vous : c’est le moment idéal de travailler aux nouveaux textes de loi. Le ministre, les autres secteurs, le centre de connaissances et bien d’autres encore se constituent à présent en réseau (notamment parce que nombre d’institutions de santé plaident en faveur de ceci). Pas seulement d’hôpitaux, mais aussi d’institutions transmurales.
L’on réglemente aussi actuellement les pratiques transmurales. Les pratiques de dentistes, d’ophtalmologues, mais finalement aussi de psychologues cliniciens. C’est donc le moment de réglementer l’ancienne législation hospitalière et les nouvelles pratiques. Il vous appartient de vous faire entendre, avec les médecins, afin de travailler de façon complémentaire, mais aussi d’indiquer précisément votre profil, et de rechercher comment vous pouvez défendre vos intérêts afin que vous puissiez avec d’autres praticiens offrir de bons soins au patient / client. Merci de votre attention.
Le professeur Stefaan Callens donne des cours de droit de la santé à la KULeuven et travaille comme avocat à Bruxelles.